Peacebuilder: Sandrine Lusamba
Madame la Présidente, Excellences, Mesdames et Messieurs,
Merci de me donner l’opportunité de faire cette intervention aujourd’hui. Je m’appelle Sandrine Lusamba et je suis la Coordinatrice Nationale de SOFEPADI, qui veut dire SOLIDARITE FEMININE POUR LA PAIX ET LE DEVELOPPEMENT INTEGRAL – une organisation congolaise qui milite pour la défense et la promotion de droits spécifiques de la femme.
Suite à la résolution 2502 (2019) du Conseil de sécurité de l’ONU, une ” stratégie commune sur le retrait graduel et par étapes de la MONUSCO ” a été établie à la fin du mois d’octobre 2020. En tant qu’organisation de la société civile travaillant aux côtés des communautés locales et des populations souffrant de guerres sans fin, nous avons pensé qu’il serait utile d’examiner les leçons à tirer de vingt ans de présence de la MONUSCO sur le terrain, ainsi que les perspectives d’un retrait graduel et progressif, tel que prévu par la résolution susmentionnée.
En effet, après 20 ans de présence de la MONUSCO en RDC, les attentes du peuple congolais restent élevées et ses besoins énormes, notamment en matière d’ouverture de l’espace démocratique. Les efforts récemment entrepris dans ce sens méritent d’être encouragés, notamment en ce qui concerne la participation d’une société civile indépendante, de médias libres et d’une opposition politique constructive à la vie politique du pays.
L’activité continue des groupes armés dans l’est du pays, ainsi que les fortes tensions et les conflits communautaires dans tout le pays, constituent une menace constante pour la sécurité de la population civile, qui est déplacée en permanence à l’intérieur ou à l’extérieur des frontières de la RDC.
La nature, l’échelle et la durée des conflits en RDC exigent une réponse locale qui soit complète, rapide et coordonnée entre plusieurs acteurs, y compris les acteurs régionaux, militaires et civils.
Le nombre toujours élevé de violations des droits de l’homme, la nature de ces violations et l’impunité dont jouissent les responsables présumés de ces violations démontrent que le système judiciaire congolais présente depuis longtemps des failles importantes.
La situation politique, sécuritaire et des droits de l’homme en RDC a créé des besoins importants en matière de lutte contre l’impunité pour les crimes les plus graves, de réconciliation communautaire et d’établissement de la vérité.
Compte tenu des défis sécuritaires auxquels sont confrontées les populations civiles, notamment au Nord-Kivu où la présence et les activités des groupes armés continuent de menacer gravement les habitants de cette zone, la MONUSCO est régulièrement critiquée, voire violemment, pour sa capacité limitée à protéger les civils.
La réputation de la Mission auprès des populations civiles a été entachée par plusieurs cas d’abus et d’exploitation sexuels commis par son personnel civil et militaire. Si l’ONU a pris des mesures préventives et disciplinaires, notamment dans le cadre de sa politique de tolérance zéro en matière d’abus et d’exploitation sexuels, les poursuites pénales sont rarement engagées par les États contributeurs, qui restent seuls juges des actes de leurs ressortissants.
Le renouvellement du mandat de la MONUSCO en décembre 2020 semblait, aux yeux des populations affectées, porteur d’un espoir de retour définitif de la paix, notamment dans l’est du pays.
Mais depuis lors, il n’y a pas eu de changement significatif et la situation semble aller de mal en pis : l’activisme des groupes armés augmente, l’insécurité persiste et les violations des droits de l’homme se poursuivent. Et le récent assassinat de l’ambassadeur d’Italie en RDC alors qu’il était en mission dans la province du Nord-Kivu est un signe éloquent de la fragilité de la situation sécuritaire dans cette partie du pays malgré la présence de la MONUSCO depuis plus de vingt ans.
A titre d’illustration, dans le territoire de Beni, dans la nuit du dimanche au lundi 15 mars 2021, la commune de Bulongo a été attaquée par les ADF, faisant 14 morts dont 4 femmes, qui ont été massacrés à l’arme blanche (les images sont atroces) ; et plusieurs déplacements de la population ont été observés, abandonnant leurs localités et se dirigeant vers la ville de Beni.
Dans l’Ituri, les conflits armés et communautaires continuent de provoquer des déplacements massifs de la population. Dans la seule localité de Lopa, située à près de 30 kilomètres de la ville de Bunia, on compte 17 camps de personnes déplacées de DJUGU. Leurs conditions de vie restent médiocres. La ville de Bunia compte également 4 camps de déplacés et nous assistons à un phénomène inédit : des enfants de 2 ou 3 ans errent dans la ville pour mendier.
Nous recommandons au conseil de sécurité de :
- Donner la priorité aux efforts qui s’attaquent aux moteurs du conflit à multiples facettes en RDC, notamment en assurant des approches sensibles au genre pour promouvoir la réconciliation intercommunautaire, la gouvernance des ressources naturelles et la prévention des conflits, et en veillant à ce que toutes les entités de l’ONU surveillent toutes les attaques et menaces de violence visant les femmes chargées de la consolidation de la paix, les politiciennes, les activistes et les défenseurs des droits de l’homme dans le cadre des processus d’alerte précoce ;
- Veiller à ce que tous les processus de transition tiennent compte de la problématique hommes-femmes, notamment par des critères de référence, des analyses, une expertise technique en matière d’égalité entre les sexes et des consultations régulières avec diverses organisations féminines de la société civile à tous les stades de la planification et du retrait des missions, en veillant à ce que les activités liées aux femmes, à la paix et à la sécurité soient transférées de manière durable ;
- Donner la priorité à un engagement communautaire tenant compte de la dimension de genre, qui inclut des consultations régulières avec les groupes de défense des droits des femmes, les femmes œuvrant pour la paix et les défenseurs des droits de l’homme, dans le cadre des activités régulières de la mission, et reconnaître publiquement le rôle essentiel de la femme ;
- Assurer que toutes les entités et experts des Nations Unies concernés, y compris les hauts fonctionnaires, tels que le Représentant spécial du Secrétaire général, le Coordinateur humanitaire et le Coordinateur résident, publient des déclarations de condamnation en réponse à la rhétorique violente et aux mesures de répression contre la société civile, y compris contre les défenseurs des droits humains et les artisans de la paix en RDC ;
- Encourager, dans le cadre de la justice transitionnelle, pour le cas du Rapport Mapping, la création de chambres mixtes spécialisées dans la poursuite des crimes internationaux au sein des tribunaux congolais, afin de résoudre le problème des coûts et du temps ;
- Fournir à la justice congolaise des rapports d’experts adaptés au contexte et aux crimes, notamment les violences sexuelles et la médecine légale, comme le recommande le Conseil des droits de l’homme dans sa dernière résolution de septembre 2019.
J’aimerais finir cette présentation en répétant ce qu’a déclaré la Représentante spéciale du Secrétaire général des Nations Unies en République démocratique du Congo, Mme Bintou Keita, en ce terme : « Avec la Force, la volonté politique de l’Etat au niveau central, au niveau provincial, au niveau local, et avec la volonté d’accompagnement de tous les partenaires, des Nations Unies, de la MONUSCO et des partenaires bi et multilatéraux, il est possible de faire autrement. »